Cette cartographie s’ouvre sur une carte, redessinée, car une carte est toujours une projection déformée. Ici, nous avons fait tourner le globe terrestre et ce n’est plus l’Europe qui apparaît au centre mais un espace reformulé entre l’Afrique et l’Océanie. C’est aussi l’entre-deux de la collection qui recrée un monde bien à elle et c’est ce monde que cette cartographie balise. Elle se veut un outil pour faire mieux connaître les collections d'objets d'Afrique et d'Océanie en France et favoriser le développement des recherches sur ces objets et les sociétés dont ils sont issus comme sur les collections et les modes d’acquisition dans les relations entre la France, l’Afrique et l’Océanie. A cette fin, elle rassemble les informations préliminaires, résume les recherches quand elles ont déjà été menées et présente celles qui ont été développées à cette occasion par le groupe de recherche de l'INHA à partir, notamment, des inventaires envoyés par les musées quand cela a été possible.
Cette cartographie présente des fonds d’objets et non pas des objets à la pièce : elle décrit rapidement le musée et la place qu’y occupent les collections d’objets africains ou océaniens. Elle détaille – autant que possible – l’histoire de la collection depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui, mentionne ses objets phares ou particulièrement méconnus, et évoque ses spécificités. Elle cite aussi les archives directement afférentes aux collections quand elles sont connues, tout particulièrement les inventaires anciens et les carnets de voyage des acquéreurs. Au-delà des rubriques sur la provenance et la bibliographie, cette cartographie permet une recherche plein texte pour rassembler les informations sur les origines géographiques des objets, les typologies d'objets présents dans les collections, les noms des collectionneurs et des marchands, etc. Il faut noter qu’il est souvent délicat de donner un nombre précis de pièces, d’autant que les inventaires les regroupent parfois par lot.
Cette cartographie vous permettra de repérer des lieux à visiter, des collections à découvrir et à investiguer. Ce n’est toutefois pas un guide de visite. Il faut effectivement noter que ces objets ne sont pas toujours exposés, et en tout cas, pas tous. Les sites web des musées vous offriront alors les renseignements nécessaires et vous permettront de les contacter pour plus d’informations. Nous avons considéré les institutions propriétaires mais certains musées bénéficient de dépôts de longue durée. Le musée de la Compagnie des Indes à Port-Louis, par exemple, ne possède pas d'objets africains mais en expose dans son parcours permanent et il nous a semblé intéressant de l'inclure au titre de musée où voir des objets africains dans le Morbihan.
Cette cartographie des collections françaises d’objets africains et océaniens concerne des collections publiques, c’est-à-dire des collections institutionnelles nationales, régionales ou municipales, mais aussi des collections privées. La plupart de ces musées ont reçu l'appellation "musée de France" qui signale d'une part l’intérêt des fonds et d'autre part l’engagement du propriétaire du musée à rendre accessible les collections, les conserver et en tenir un inventaire à jour. Ces oeuvres, qu’elles soient publiques ou privées, sont alors inaliénables et imprescriptibles. Il faut aussi noter que, dans le cas des musées municipaux, les collections appartiennent à la Ville et sont susceptibles d’être ouvertes à la mutualisation, c’est-à-dire d’être réaffectées et déplacées d’un musée à un autre en fonction des programmes scientifiques et culturels (PSC) élaborés.
Pourquoi les objets africains et océaniens sur une même carte ? Disons-le tout de go, cela n’a pas de raison d’être pour l’histoire des sociétés africaines et océaniennes. Disons aussi clairement que notre première raison est pragmatique : il s’agit de mutualiser les moyens pour des projets sur des zones non-européennes qui restent marginaux et qui ont du mal à exister. Ce choix s’appuie aussi toutefois sur la catégorie "extra-occidentale" utilisée dans le monde des musées pour rassembler sous un même chapeau des objets de provenances et d’époques très diverses. Par ailleurs, le contenu de cette catégorie est varié, incluant diversement les objets asiatiques selon qu’ils relèvent des beaux-arts ou des arts populaires, comprenant ou pas les objets égyptiens d’époque pharaonique, pour ne donner que ces deux exemples. Elle se justifie parfois a posteriori parce que l’origine des objets s’est perdue. Si l’on ne connaît pas ces objets par d’autres biais, il peut être effectivement compliqué de savoir d’où ils viennent. Cela a été le cas de masques africains arrivés en France au 18e siècle, cela peut aussi être le cas d’objets de la vie quotidienne rapportés par des administrateurs alternativement en poste en Afrique, en Asie, parfois aussi en Océanie. Mise à part cela, et – encore – dans une mesure qui reste à déterminer, l’histoire des collections africaines et celle des collections océaniennes en France sont a priori très différentes l’une de l’autre mais cette cartographie donne aussi des bases pour approfondir la comparaison. Pour revenir à la catégorie "extra-occidentale", elle pourrait dans ces cas-là servir de salle d’attente à une réattribution des objets. Notons bien toutefois que cette classification, qui peut se présenter comme utilitaire, reflète surtout fondamentalement un positionnement par rapport au monde, que le développement des recherches historiques et une diffusion plus large des connaissances en Europe sur ces différentes régions du monde, pourrait aider à dépasser. Les collections "Afrique" et "Océanie" sont donc présentées dans des fiches séparées pour préparer un jour où nous n’aurons plus besoin de chercher un terme pour remplacer le problématique "extra-occidental" puisque nous ne l’utiliserons plus que pour désigner une réalité passée, dans un futur où les institutions se seront organisées autrement.
En septembre 2021, cette cartographie comprend 246 musées : 108 institutions comptent des collections provenant de ces deux continents, 116 des objets africains uniquement et 21 des objets océaniens seulement. Pour le dire autrement, 224 musées possèdent des objets africains, 218 en réalité si on soustrait de ce nombre les musées disparus, et 129 des objets océaniens. Cette liste a vocation à s’allonger avec la poursuite des recherches et votre aide. Effectivement, la consultation des musées continue et beaucoup d’autres musées comprennent sans doute ne serait-ce que quelques objets d’Afrique, d’Océanie peut-être plus rarement. La mise au jour de nouveaux fonds est donc tout-à-fait probable comme en témoigne l’exposition du musée Saint-Remi de Reims à l'été 2021, avec notamment la rédécouverte d'une salière africaine en ivoire du 16e siècle, conservée dans les musées de la ville depuis le 18e siècle. D'autres collections sont aussi apparues qui étaient à tout le moins méconnues : celle du musée des Ursulines de Mâcon ou celle du département des arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France. L’histoire des musées se poursuit aussi : la collection privée des époux Cligman, comprenant quelques objets d’Afrique et d’Océanie, a fourni le fonds du musée d’Art moderne qui a ouvert très récemment dans l’abbaye de Fontevraud, pour ne donner que cet exemple.
Cette cartographie part de la localisation des collections actuelles et passées, distinguées par des couleurs différentes. Elle permet de localiser des institutions soit actuellement fermées à la visite mais dont les collections peuvent être accessibles sur demande, soit des musées disparus dont les collections ont été transférées ailleurs ou, parfois, dispersées. Cela permet de suivre l’histoire des musées et, concrètement, de retrouver un objet ou une collection qu’une publication a signalé à un endroit mais qui a depuis bougé. Dans les années qui viennent, ce qui concerne les institutions disparues sera développé afin de mieux suivre, notamment, l’histoire des collections au 19e siècle et pendant la période coloniale afin de remonter au plus près de l’acquisition des objets et de mieux cerner l'évolution des mentalités et des politiques relatives à ces objets.
Cette cartographie prend en compte les objets africains de tout type créés depuis la fin de l’Antiquité jusque dans le courant du 20e siècle. Elle inclut dans son périmètre toute l’Afrique afin de dépasser la rupture saharienne qui a structuré l’organisation des collections comme les études universitaires mais est remise en cause par les recherches historiques menées sur cet espace. Elle entend ainsi donner des éléments pour étudier les bassins de vie communs et les échanges inter-continentaux. Madagascar est aussi compris dans ce périmètre. Concrètement, nos recherches sur les collections d’objets d’Afrique du Nord, y compris l’Egypte, sont cependant moins avancées pour le moment.
À ce jour sont répertoriés 218 musées actifs (qu’ils soient ouverts ou fermés momentanément) possédant un, dix voire jusqu’à quelques centaines et même quelques dizaines de milliers d’objets dans le cas du musée du quai Branly-Jacques Chirac. Dans son livre African art and artefacts in European collections: 1400-1800 paru à Londres en 2000, Ezio Bassani estimait que quatre-vingts objets africains, présents à la fin du 20e siècle dans les collections françaises, y étaient entrés avant 1800. Il faut toutefois prendre en compte que nombre d’objets arrivés en France avant l’ère de la muséalisation et pendant sa mise en place et sa structuration, avant et au cours du 19e siècle, ont dû aussi disparaître. Quoiqu’il en soit, ce nombre s’est accru exponentiellement depuis et jusqu’à aujourd’hui sans que nous connaissions leur nombre exact. En l’état actuel de nos connaissances, nous pouvons l’estimer très grossièrement à environ 150 000 (dont la moitié au musée du quai Branly-Jacques Chirac, à comparer aussi aux 121 millions dans les musées de France).
Pour ce qui est des collections comme ensemble, nous connaissons - relativement - bien les butins de guerre ou celles de grandes missions scientifiques, ainsi que les conditions dans lesquelles elles sont arrivées en France même si, là aussi, les recherches doivent se poursuivre. Le reste – la majorité des objets des collections ?, en tout cas de celles des régions hors Paris – doit encore faire l’objet d’investigations systématiques pour cerner précisément ce qui est dans les collections et leur histoire au-delà des premières évidences (objets donnés par d’anciens membres de l’administration coloniale ou leur famille, pour un très grand nombre des objets du quotidien aussi variés soient-ils, de la lance à la cruche en passant par les bijoux, des objets de culte, etc.).
Par ailleurs, l’histoire des collections d’objets d’Afrique se comprend à l’échelle du territoire national. Effectivement, le musée d’ethnographie du Trocadéro a envoyé dans les musées de province des objets considérés comme des doublons, scindant les collections originales. Ceux qui ont rapporté des objets, ou leurs descendants, les ont parfois donné à différents musées à différents moments de leur vie : dans les grandes institutions nationales, dans le musée de leur ville natale et dans celle où ils se sont installés par la suite. Autre cas de figure : des objets ont pu être acquis de manière similaire pour les expositions universelles ou coloniales par des administrateurs qui en ont aussi acquis en même temps pour eux-mêmes et les ont donnés ensuite à des collections publiques. Les objets des expositions sus-nommées ont aussi connu des destins divers. Cette cartographie propose ainsi des éléments pour répondre à ces questions et commencer à esquisser une vue d’ensemble.
Sont considérés comme faisant partie de l'aire culturelle océanienne les objets originaires d'un très vaste ensemble de territoires, insulaires pour une large part, allant de l'Australie à l'île de Pâques. Plus précisément, on a pris pour habitude de découper l'Océanie en trois grandes régions, dans la lignée de Jules Sébastien Dumond d'Urville qui, au 19e siècle, mettait en évidence trois aires aux affinités culturelles plus marquées bien que les circulations et échanges aient été incessants entre elles. A l'est de l'Océanie se trouve le triangle polynésien formé par les Iles Hawai'i, l'Île de Pâques et la Nouvelle-Zélande ; au centre, l'arc mélanésien comprenant la Nouvelle-Calédonie, les Vanuatu, les Iles Salomon, la Nouvelle-Bretagne, la Nouvelle-Irlande ainsi que la Papouasie-Nouvelle-Guinée ; au nord, la Micronésie, myriade d'archipels dont les Iles Carolines ou Mariannes et enfin, à l'ouest, l'Australie. De cet immense territoire au sein duquel l'eau, proéminente, joue un rôle fondamental, quelques 65000 objets sont originaires, répartis dans 129 musées en France métropolitaine et en outre-mer. Les typologies des oeuvres aujourd'hui conservées sont variées mais on peut noter que les armes (sagaies, lances, casse-tête, frondes) dominent largement le volume des collections suivies par des ensembles d'objets du quotidien, parures courantes et enfin, objets de prestiges et cultuels. Les fonds archéologiques sont plus rarement présents dans les collections nationales. Nombre des objets aujourd'hui conservés remontent à la deuxième moitié du 19e siècle et aux premières décennies du 20e, les pièces anciennes restant minoritaires et les objets plus contemporains entrés principalement dans certains musées qui ont en fait un axe de développement de leurs collections (Rochefort, la Rochelle, Angoulême).
Le Journal de la Société des Océanistes a publié, en août 2021, un numéro spécial consacré aux collections océaniennes conservées en France (voir "Autres ressources"). L'introduction rédigée par Magali Mélandri et Hélène Guiot offre un excellent et très complet panorama non seulement des vocations qui ont présidé au fil des siècles à la collecte des objets, mais également de leur considération et de leur étude. Nous n'en offrirons ici qu'une synthèse drastique qui permet de résumer le paysage des collections nationales océaniennes nées au 16e siècle lors des premières explorations par l'arrivée de quelques objets exotiques, devenus ensuite des objets de curiosité trônant dans les cabinets, support au 18e siècle à une appréhension du monde dans sa globalité telle que le veut la démarche encyclopédique. Les conquêtes coloniales vont changer la donne et le volume des objets rapportés. Ces derniers seront la preuve d'une transformation à l'oeuvre et en profondeur des sociétés colonisées. L'explorateur est rejoint par le missionnaire, le militaire et l'administrateur comme principal pourvoyeur d'objets. Ce mouvement s'accompagne d'un versement dans le domaine public des collections, les feu collections royales deviennent des musées accessibles à tous, les cabinets de curiosité sont reversés aux villes de naissance des collectionneurs. Les expositions universelles et coloniales sont des temps privilégiés pour acheter, troquer ou récupérer nombre d'objets venus illustrer les modes de vie des indigènes colonisés.
Au tournant du 20e siècle, le prisme de lecture va évoluer avec l'engouement des avant-garde pour ces formes venues d'ailleurs que l'on qualifie désormais d'art. Au fil du siècle, l'avancée des sciences humaines et en particulier des études en anthropologie, ethnographie et histoire de l'art va accommpagner un effort d'étude, de classification et d'inventaire scientifique des fonds.
Les collections océaniennes ont bénéficié, davantage que les collections africaines conservées en France, de plusieurs travaux pionniers d'inventaire élargi. Magali Mélandri et Hélène Guiot rappellent dans leur article que l'étude, à la fin du 19e siècle de Karl von den Steinen sur les oeuvres des Iles Marquises, est suivie de celle Felix Speiser et Fritz Sarasin, du Museum für Völkerkunde de Bâle (Suisse), qui s’intéressent, durant les années 1920, respectivement aux collections du Vanuatu et de Nouvelle-Calédonie conservées en France.
Puis, à partir des années 1950, trois femmes vont engager des travaux déterminants : Marie-Charlotte Laroche, qui liste dans son article fondateur de 1945, dix-sept établissements conservant des fonds océaniens (avec un focus sur les collections néo-calédoniennes) ; Anne Lavondès, ethnologue à l’Orstom qui, entre 1974 et 1993, étudia les fonds en particulier polynésiens de près d’une trentaine d’institutions et Sylviane Jacquemin, qui a travaillé avec Roger Boulay à l'histoire des établissements parisiens, travail étendu à des collections de province. Ces derniers ont ensuite réalisé un des premiers inventaires régionaux dans les musées du Nord-Pas-de-Calais, plusieurs musées aquitains leur ayant emboîté le pas en 1998.
Citons également au début des années 2000 des études approfondies de collections à Chartres, Toulouse, La Rochelle, Angoulême, Le Havre, Boulogne-sur-Mer qui ont alimenté des projets de rénovation de musées et permis la valorisation de ces fonds.
Les inventaires géographiques se poursuivent avec le premier recensement des objets wallisiens conservés en métropole par Hélène Giuot en 2000 et par la rédaction, par Sylviane Jacquemin, de l’annuaire « Bougainville » en 1998, sous la forme d’un dictionnaire des collecteurs et collectionneurs d’art océanien au 19e et dans la première moitié du 20e siècle. En 2007, creusant le sillon de ses prédécesseurs, Roger Boulay, alors chargé de mission à la Direction des Musées de France, réalise un premier inventaire visant à l'exhaustivité, des collections publiques françaises d’objets océaniens.
L'actualité récente démontre la dynamique continue avec la publication en 2015 d'un travail inédit : l'Inventaire du patrimoine kanak dispersé, dont l'idée a été émise dans les années 1980 par Jean-Marie Tjibaou et piloté par Emmanuel Kasarhérou.
La Polynésie française avec l'appui de son musée territorial et le concours de spécialistes comme Hélène Guiot ont, dans le lignée de l'IPKD, lancé en 2020 une démarche similaire. Complémentaires à ces études fondatrices sur l'histoire nationale des collections, la démultiplication, ces dernières années, de mémoires de recherche sur les fonds océaniens français laisse présager une connaissance encore affinée de ces derniers que cette cartographie qui en brosse à grands traits la répartition et la description permettra de croiser, relayer et peut-être offrir de nouvelles orientations aux chercheurs.